Ou comment l'Homme et l'Animal ont mis des millénaires avant de pouvoir dire et écrire des biographies animales
Personnellement, il m'est apparu assez vite dans ma biographie que le point de vue des petits et des faibles était souvent passé sous silence. Mon point de vue de petite fille n'étant pas ou peu entendu, j'ai tout de suite ressenti beaucoup d'empathie envers les animaux, car ils étaient de merveilleux compagnons de vie pour moi, mais je voyais bien que peu de gens en faisaient cas.
Je les voyais ressentir des émotions pareilles aux miennes, comme la joie ou la tristesse, le dégoût face à certaines nourritures, l'envie de liberté, le besoin de se rassurer mutuellement. J'avais l'impression qu'ils me comprenaient, qu'ils ressentaient de l'empathie pour la petite fille souvent seule que j'étais et je me suis plusieurs fois indignée du peu de considération dont les Humains faisaient preuve à leur égard. De mon point de vue, ils étaient exactement comme moi, la parole en moins.
Je viens d'une famille de la campagne où l'on "faisait boucherie", j'ai dû manger des lapins que je trouvais trop mignons, du boudin et j'en passe. Je me suis très tôt mise à l'équitation, j'ai toujours eu des animaux de compagnie et j'ai essayé de cultiver le lien à tous les animaux rencontrés, domestiques ou sauvages. J'ai comme beaucoup de monde créé une séparation dans ma vie entre ce qui me semblait acceptable avec les animaux, ce que je souhaitais développer et ce qui me semblait quasi inévitable dans notre monde (la chasse- les abattoirs,...). J'ai donc cultivé le lien avec certains animaux et préféré oublier d'où venaient les autres ou comment ils étaient traités dans notre société.
Puis en grandissant, j'ai lu, je me suis passionnée pour la connaissance sur les Animaux et l'Homme afin de - pensais-je - mieux les comprendre et mieux comprendre le lien si particulier qu'il y a entre nous. J'ai voyagé entre la zoologie, la biologie, l'éthologie, l'histoire, l'anthropologie, la psychologie, l'altruisme, les thérapies à médiation animale, les histoires de guérison inexpliquée, la conscience et la spiritualité.
J'ai été contente de lire et d'entendre dans les travaux de certains éthologues (J-C. Barrey entre autres) la difficulté qu'il y a à nommer le monde interne de l'animal, ou son Umwelt, qui est par définition inintelligible pour les autres espèces. Ce concept qui vient d'un pionnier de l’éthologie, J. von Uexküll, a le mérite de décrire que chaque organisme à un monde propre et une théorie de ce monde qui lui correspond et qu'il n’y a pas de besoin ni de raison de hiérarchiser ces mondes. Cela me confortait dans l'idée que chaque animal rencontré a le droit de vivre sa vie comme il l'entend dans son monde et que parfois, comme par miracle, ces mondes se croisent et permettent de belles rencontres entre l'Homme et l'Animal par exemple. On vit dans le même environnement, mais dans des mondes différents… L’Homme ne sentira jamais le monde comme un chien et ce dernier ne le verra jamais comme lui.
Mais ce que j'ai compris de ce que l'Homme écrit, c'est qu'il parle souvent bien plus de lui et de son rapport à l'animal que de l'animal en lui-même. L'ouvrage très complet "Si les lions pouvaient parler", sous la direction de B. Cyrulnik (1998) en fait même son point de départ :
"La nature des relations que l'Homme entretient avec l'Animal obéit à une loi inexorable: nul de saurait aborder le monde des animaux sans y projeter son propre univers mental, soucieux par là, de marquer strictement la frontière entre humanité et animalité. Comment représenter le monde dans lequel vivent les animaux quand il nous est très largement inconnu ?" Introduction de l'éditeur.
Cet ouvrage est un formidable recensement de différents points de vue des Humains sur l'Animal depuis que l'homme écrit et pense ce lien.
Mais heureusement la décentration est en marche ! Eric Baratay, historien et professeur d'histoire contemporaine, dit dans un article intitulé Histoires animales in Révolution Animale, sous la direction de K. Lou Matignon (2016) :
"Il faut sortir de cette approche et se pencher sur l'influence des animaux dans leurs relations avec les hommes sur leur véritable rôle d'acteurs dans notre histoire comme dans la leur, qu'elle soit liée à la nôtre ou qu'elle en soit indépendante, alors que l'éthologie insiste de plus en plus, pour certaines espèces - de plus en plus nombreuses - sur les comportements individuels, sur les aptitudes cognitives des individus, sur les sociabilités et les cultures de leurs groupes, et qu'elles rend donc insuffisantes les approches strictement humaines". p.60
Cette nouvelle approche, que je mets en avant dans ce site, pousse l'Homme à changer son point de vue et cela opère un retournement de soi et de notre place, car l'Animal aussi nous observe, pense et se re-positionne à chaque instant.
L'animal n'est plus seulement un "agent" qui agit ou un objet sur lequel on projette nos représentations, il devient sujet, individu, personne avec des conduites et une histoire propre.
"La question du vécu personnel de tel ou tel acteur est devenue légitime en sciences humaines et sociales, (...). Cela doit être appliqué aux animaux en écrivant des biographies animales, mais en se démarquant de l'anthropomorphisme utilisé dans les biographies littéraires et de l'anthropocentrisme présent dans les rares biographies d'animaux réels". E. Baratay, p.63
Selon Eric Baratay, les biographies animales devraient permettre de souligner trois aspects :
chaque individu a sa traversée du monde, qui lui est propre et durant son existence il a, ou non, à faire avec les Hommes et tout cela constitue son expérience de vie.
ces expériences varient en fonction des lieux et des époques, tant humaines qu'animales.
il y a une incessante adaptation des espèces, des groupes et des individus aux conditions écologiques et humaines.
Il semble donc que les Hommes commencent à entrevoir qu'il y a aussi une histoire animale, que les animaux ne font pas que subir notre histoire ou la traverser, mais qu'ils la créent aussi... Ils en font partie en tant que sujets et en tant que tels, ils l'influencent.
J'ajouterais que la dimension qui manque souvent à mes yeux dans les travaux comme ceux cités dans cet article, est celle de la conscience animale et de la volonté des animaux de nous transmettre leurs messages, qu’ils vivent et interagissent avec nous ou que nous les croisions seulement.
De ce que je perçois, les animaux partagent notre monde non pas seulement en tant qu'espèce, ni même qu’en tant qu'individu biologiquement défini avec une histoire propre, mais aussi en tant qu'âme qui participe à la conscience collective qui est sur notre terre aujourd'hui.
Chaque animal vient participer au monde à sa façon, avec sa lumière, qu’il soit domestique ou sauvage, un domestique retourné à l’état sauvage ou un sauvage qui pourrait être domestiqué…
Il est temps que notre conscience évolue et que nous prenions nos responsabilités face aux animaux, qui ne sont ni plus ni moins que nous, des âmes qui cheminent en recherche de bien-être et qui bénéficieraient, tout comme l'Homme, d'une cohabitation éclairée et bienveillante entre tous les êtres vivants.
Dans le vivre ensemble de manière éclairée et bienveillante entre tous les êtres, je ne fais pas référence à un vieux mythe, comme le paradis perdu ou un moment précis où la nature était « pure » sans l’intervention humaine et je ne fais pas référence non plus à une espèce d’utopie futuriste ou il n’y aurait plus aucun conflit entre aucune espèce. Car je pense que la planète et ses habitants (que ce soit des bactéries, des dinosaures ou des grands singes) ont évolué ensemble depuis la nuit des temps. Il y a toujours eu une forme de compétition entre individus d’une même espèce, afin d’avoir accès à la nourriture et avoir une place dans l’organisation sociale, s’il y en a une. Et il y a toujours eu aussi des formes de conflits entre espèces qui partageaient les mêmes territoires et du coup aussi les ressources naturelles. Cela a permis à tous les êtres vivants de se développer, de se multiplier puis de mourir aussi, quand c’était le moment (en tant qu’individu et en tant qu’espèce).
Et je pense que cela va continuer. Mais ce qui a drastiquement changé avec l’influence manifeste de l’Homme sur la nature depuis l’avènement de l’agriculture, suivie de l’industrialisation et de la crise écologique actuelle, c’est que l’Homme ne pourra pas faire l’impasse sur le fait de repenser sa place sur cette Terre, ni celle des autres êtres vivants, car les ressources et la place nécessaire vont commencer à manquer cruellement.
Je pense donc que malgré la situation alarmante que nous vivons actuellement, nous avons l’opportunité de repenser et de redonner une nouvelle place aux animaux, différente de celle que la société occidentale a bien voulu leur laisser jusqu’à aujourd’hui.
Nous pouvons leur donner le statut de sujet à part entière, dignes de Biographies Animales…
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